samedi 11 mai 2024

Construction sous contraintes de la calculatrice-doigts.

 

Disons d’emblée que cette construction ne peut jamais se faire dans l’abstrait, en dehors de tout contexte de résolution de problèmes ! Ce n’est que dans la mesure où les quantités augmentent que se fait jour la nécessité de perfectionner la calculatrice-doigts.

Nous ne construisons pas la calculatrice électronique. Nous l’achetons toute faite et nous y trouvons des chiffres destinés à désigner des nombres.

Nous devons, par contre, construire la calculatrice-doigts, les Configurations Canoniques des Doigts (CCD) et les nombres.

Cette construction s’enracine dans un comptage ordonné. Elle répond à une norme dominante résultant de contraintes anatomiques et culturelles. D’où l’adjectif « canonique ».

  • Exemple de contrainte culturelle : pour compter, nous levons les doigts, d’autres les baissent.
  • Exemple de contrainte anatomique, assurant une certaine universalité : on compte partout en respectant l’adjacence.

Les CCD sont donc toujours constituées de doigts adjacents et, dans notre culture, de doigts adjacents levés.

Ceux qui baissent les doigts (contrainte culturelle) ne les baissent jamais en arrière, ce qui est anatomiquement impossible (contrainte anatomique).

La norme dominante se justifie :  

1. Il est en effet capital de traiter (lever, baisser, lire, montrer,…) d’un seul coup, et sans la moindre hésitation, tous les doigts qui forment une CCD (simultanéité, aspect cardinal : un seul geste).

Aucun peuple de la terre n’a compté jusqu’à 3 en levant d’abord le médian de la main gauche, puis l’index de la main droite et enfin l’annulaire de la main droite !

La CCD de 3 ne peut donc jamais être formée ainsi. Essayer de lever d’un seul coup, sans hésitation et sans compter, ces 3 doigts !  Et comment utiliser efficacement cette configuration peu pratique dans les modélisations et dans les calculs ?

2. L’ordre stable du comptage que je choisis est de loin le plus fréquent dans nos sociétés. Le respect de cette contrainte culturelle permet une meilleure communication entre individus d’un même milieu culturel.

Parmi les centaines d’élèves que j’ai eu la chance de pouvoir aider, j’ai toujours relevé ou pu favoriser les mêmes CCD – celles dont les images statiques souvent stylisées sont reprises, sous diverses dénominations, dans les travaux d’auteurs partageant notre culture.

Nous trouvons, par exemple, chez Baruk (PUF, 2016) les « nombres en barres/doigts » suivants :




Les CCD doivent toujours être traitées (levées, prises, lues, …) d’un seul coup : 1 =  pouce de la main gauche ; 2 =  pouce et index ; 3 = pouce, index et majeur ; 4 =  pouce, index, majeur et annulaire ; 5 = toute la main gauche (MG) 

Après 5 on tourne le dos des mains vers soi de manière que les deux pouces deviennent adjacents. 6 = MG et pouce de la main droite (MD) ; 7 = MG, pouce et index MD ; 8 =  MG, pouce, index et majeur MD ; 9 = MG, pouce, index, majeur et annulaire MD. Pour 10, les deux mains.

👉👉Cependant, si bonne soit-elle, aucune image statique ou même animée de l’extérieur ne peut traduire de manière satisfaisante les CCD vu que les aspects vécus, moteurs (lever, baisser,… les doigts), sensori- moteurs et proprioceptifs sont essentiels.

Les CCD correspondent aux chiffres, bien qu’elles soient beaucoup plus riches. Les CCD ne sont pas les nombres qui, eux, sont des idées, des concepts. Mais, nous allons voir que la mise au point des CCD coïncide avec la construction du nombre.

mercredi 1 mai 2024

Problèmes les plus élémentaires.

 

Nous avons vu que le sens des mathématiques s’enracine dans la résolution de problèmes.

👉Voici, à présent, un des problèmes les plus élémentaires qu’on puisse présenter aux enfants.

1) Mettre un bonbon dans une boîte, puis en ajouter un et fermer immédiatement la boîte. Problème : combien de bonbons y a-t-il en tout dans la boîte ?

2) Si l’enfant ne connaît pas déjà le résultat, il ne peut pas le deviner. Il doit le calculer pour être absolument sûr.

À cet effet il se détache du problème (abstraction) en le modélisant avec ses doigts (la calculatrice-doigts) ; il lève un doigt, le pouce de la main gauche. Puis il ajoute un deuxième doigt (l’index de la main gauche). Il regarde alors l’ensemble des doigts qu’il lève d’un seul coup : deux en tout (sans compter). Donc il y a deux bonbons dans la boîte.

3) Avant d’avoir pleinement confiance dans la calculatrice-doigts, l’enfant adore vérifier. Il se rue sur la boîte, l’ouvre et compte rapidement (autoévaluation par le comptage-vérification). 

👉Cet exemple ultrasimple appelle différentes remarques :

1) Le « squelette » qui supporte ce problème peut être habillé d’une infinité de manières, selon les intérêts des enfants. S’ils viennent d’admirer un écureuil, il peut s’agir d’un écureuil qui cache ses noisettes, … L’essentiel est que la procédure reste généralisable peu importent la nature des objets, leur quantité, les narratifs, etc.

2) La boîte peut être remplacée par toute autre cache, assez neutre (monochrome,…) afin de ne pas distraire l’enfant. L’essentiel est que l’enfant ne voie pas tout et soit « forcé » de sortir du concret ! Sans quoi, il serait privé dès le début de ce qu’un enfant appelait « la magie des mathématiques » qui consiste à pouvoir savoir avec certitude, sans voir ! Au lieu de faire peur, l’abstraction peut fasciner !

3) Le résultat ne peut jamais être deviné. Si l’enfant sait avec certitude qu’il y a deux objets cachés, on augmente les quantités d’objets en jeu.

4) Seule la calculatrice-doigts reste un repère stable, solide et fiable. Cela va en favoriser l’intériorisation.

👉Nous allons voir dans l’article suivant comment achever la construction de la calculatrice-doigts.


À l’origine des mathématiques et de leur apprentissage : la résolution de problèmes.

 


Les hommes n’auraient jamais développé les mathématiques sans problèmes à résoudre !

Pense-t-on alors vraiment que l’enfant puisse s’en passer pour entrer en mathématiques ?

La résolution de problèmes, et donc l’utilité, a été et reste la source principale, voire unique, du sens des mathématiques.

👉Pour que le sens ne cesse jamais d’animer la démarche mathématique, il faut un continuel va-et-vient entre le concret et l’abstrait. Une rupture entre les deux engendrerait un concret opaque et un abstrait éthéré, tous deux dépourvus de sens.

J’ai vécu des dizaines de fois ce que Baruk décrit en ces termes : « Il manipule un mois, il manipule deux mois, il manipule trois mois… Six mois plus tard, il manipule toujours. C’est désolant parce qu’il n’a toujours “pas idée du nombre”. »

Bref, l’enfant à qui on impose des activités dont le sens lui échappe risque de céder à la stéréotypie et de s’enfoncer dans un concret toujours plus opaque. Ce dernier n’a rien à voir avec une démarche mathématique.

À l’autre extrême : étudier par cœur des comptines numériques ou des formules abstraites, suivre aveuglément des techniques, des trucs et astuces, tout cela élimine également tout sens. Je pourrais citer des centaines d’absurdités que les élèves m’ont ainsi apprises ! 

Est-il alors exagéré d’affirmer, comme le font certains, que pour trop d’enfants l’entrée en mathématiques, c’est l’entrée en « Absurdie » ? 

👉Les maths doivent donc s’ancrer dans la résolution de problèmes concrets et « adéquats », susceptibles d’être modélisés mathématiquement :

- l’enfant doit pouvoir comprendre le problème, s’y intéresser et  le faire sien au point de chercher à le résoudre sans qu’on doive l’y pousser ou contraindre. La contrainte engendrerait un problème d’un autre ordre.

- la solution du problème doit être cachée aux yeux de l’enfant, sans quoi ce ne serait plus un problème pour lui.

 - pour résoudre le problème, l’enfant doit apprendre à le modéliser (sorte d’abstraction). Cette modélisation peut s’effectuer  en se servant de ses doigts qui constitueront sa calculatrice.

- la solution « abstraite » du problème doit être vérifiable dans le concret par l’enfant lui-même (ouverture de la cache et comptage-vérification). Cette procédure n’est-elle pas meilleure que l’argument d’autorité ?

👉Il y a bien moyen de confronter l’enfant dès son plus jeune âge à des problèmes qui le fascinent. Nous le verrons sous l’onglet « problèmes les plus élémentaires »