mardi 4 juin 2024

Trois pièges redoutables posés à l’entrée en mathématiques

 

Des 15 pièges (ici) que j’ai pu relever, en voici trois qui sont d’autant plus dangereux qu’ils peuvent se renforcer mutuellement.

 

1) Confusion entre le nombre et le numéro.

 

Pour l’enfant, nos mots-nombres ne sont souvent que des mots-numéros. 

 

Ces derniers sont issus du comptage-numérotage faisant correspondre 1 mot – 1 objet. Ainsi chaque mot-numéro désigne 1 élément et 1 seul : le numéro huit ne désigne pas 8 objets (maisons, maillots de foot,…) mais 1seul.  

 

Le numéro est un bloc indécomposable, inutilisable en modélisations et en calculs. Le n° 8 n’est pas la somme des n° 5 et 3, etc.

 

Ce piège peut être renforcé par des

  • - files numériques utilisées de manière non numérique
  • - comptines numériques omettant régulièrement l’aspect ordinal (premier, deuxième, …)
  • - jeux dits « pédagogiques »
  • - …

 

Quand le numéro usurpe la place du nombre tout se bloque. L’enfant s’empêtre dans un « comptage » un par un.

 

J’ai eu en remédiation des dizaines d’enfants diagnostiqués « dyscalculiques ». Ils étaient pratiquement tous pris dans ce premier piège.

 

Si l’on croit que l’expression « dyscalculie transitoire » n’a pas de sens et que la dyscalculie est un « trouble irrémédiable », alors le piège se resserre gravement, voire définitivement. 

 

2) Confusion entre notre savoir et celui de l’enfant 

 

Mettez 5 jetons sur la table et demandez à un enfant qui sait compter au moins jusque 5 : « Combien de jetons y a-t-il ? » L’enfant compte 1, 2, 3, 4, 5. (Silence)

 

Vous pouvez alors réagir de deux manières :

 

1) Soit, vous répétez votre question. Si, au lieu de dire alors qu’il y a 5 jetons sur la table, l’enfant re-compte, et re-compte, vous pouvez suspecter un comptage-numérotage : le 5 final est un n°, il ne désigne pas la pluralité des 5 jetons et ne permet donc pas de répondre à la question du combien.

 

2) Soit, vous louez l’enfant en disant TB et en soulignant avec plus ou moins d’enthousiasme ou d’insistance, À LA PLACE DE l’enfant,  qu’il y a bien 5 jetons.

Certains s’énervent même en disant à l’enfant : « Tu n’as pas besoin de recompter puisque tu en as bien compté 5 !! »

L’enfant apprend alors vite à répéter le dernier mot, sans comprendre.

Le piège se referme plus fortement encore !

 

3) Confusion entre développements « naturel »  ou « adaptatif »

 

Certains pédagogues « scientifiques », sans expérience de terrain, considèrent le comptage-numérotage comme une étape naturelle, normale. Ils croient consolider leur théorie en se citant mutuellement tout en s’immunisant contre tout brouillage pouvant venir du terrain.

 

Leur théorie n’est alors « prouvée » que par l'étude de sujets conditionnés à se conduire d’une manière conforme à cette théorie.

 

Ce phénomène a été dénoncé surtout par des ethnopsychiatres habitués à voir des personnes d’autres cultures et donc conditionnées différemment.

 

En fait, l’enfant sensibilisé dès le début au comptage cardinalisant, articulant les deux aspects constitutifs du nombre (aspect ordinal : premier, deuxième, troisième…et aspect cardinal : un, deux, trois,…) ne passe pas par l’étape prétendue « normale » du comptage-numérotage.

 

Lyons, célèbre enseignant-chercheur canadien, constate dans son Défi Mathématique que trop de difficultés des enfants nous renseignent sur la manière dont l’enseignement a été dispensé, sur le programme, la  méthode ou le manuel.

Un piège est d’autant plus redoutable qu’il a la bénédiction des Autorités. 



lundi 3 juin 2024

Connaissez-vous plus que 15 + 1 pièges posés à l’entrée en mathématiques ?

 

Voici ceux que j’ai relevés : 

  1. Confusion entre le nombre et le numéro.
  2. Confusion entre notre savoir et celui de l’enfant
  3. Confusion entre développements « naturel »  ou « adaptatif »
  4. Confusion entre constituants et prérequis.
  5. Confusion entre incapacité du prof et de l’élève !
  6. Confusion entre compter et calculer
  7. Confusion entre la calculatrice et ce sur quoi portent les calculs
  8. Confusion entre mobilité et chaos.
  9. Confusion entre nombre et chiffre.
  10. Confusion entre « automatismes » et « automathismes »
  11. Confusion entre l’intérieur et l’extérieur
  12. Confusion entre langage quotidien et langage mathématique
  13. Confusion entre cas particulier et général
  14. Confusion entre clarté et lenteur
  15. Confusion entre petits pas et compréhensibilité

👉Ces pièges et d’autres encore seront exposés en détails dans ce blog. Il est essentiel de bien savoir les détecter afin

  • d’éviter que les enfants y soient pris. 
  • de libérer au plus vite ceux qui en sont déjà victimes.

👉Ce travail de prévention et de libération exige, entre autres, une connaissance et une compréhension approfondies de ce qui est nécessaire pour une entrée réussie en mathématiques.

Je ne peux en aucun cas m’accorder avec les enseignant·e·s qui pensent que l’amour du métier et des enfants, si nécessaire soit-il, puisse être suffisant.

En 1935, Piaget écrivait déjà : «En un mot, c'est dans et par la recherche que le métier de maître cesse d'être un simple métier et dépasse même le niveau d'une vocation affective pour acquérir la dignité de toute profession relevant à la fois de l'art et de la science ».

J’ai toujours opposé l’enseignant chercheur au sélectionneur qui ne mérite même pas le nom d’enseignant. !

👉Un texte de Meirieu m’a beaucoup fait réfléchir : l’enseignant, je cite,  « porte une double casquette: d’un côté, il s’efforce de faire réussir ses élèves et tous ses efforts concourent à ce projet; d’un autre côté, il organise des épreuves où il sème des embûches dans le souci de faire échouer une partie d’entre eux et de sélectionner les meilleurs. C’est pourquoi il est toujours partagé, devant un échec, entre la culpabilité pédagogique, qui devrait l’amener à se remettre en question, et la fierté sociale d’avoir rempli une tâche pour laquelle il était mandaté et qu’il doit poursuivre. Le paradoxe est tel que, s’il arrive qu’un enseignant mette trop fréquemment ou trop systématiquement de bonnes notes, loin de louer son efficacité, l’on suspecte plutôt son objectivité ».

👀La « double casquette », cette figure ambivalente de Janus ne cache-t-elle pas UN PIÈGE REDOUTABLE, ne doit-elle pas laisser tomber son masque ? Ne faut-il par choisir clairement entre  enseigner et sélectionner ? Choisir entre d’une part communiquer, partager ou transmettre des savoirs de la manière la plus réussie possible et, d’autre part, poser des pièges ou semer des embûches pour sélectionner !

En 1974, Lobrot notait déjà que le rôle des enseignants actuels est, je cite, « très comparable de celui des médecins jusqu'à la Renaissance (...) faire le tri entre les malades et les bien portants ». Les médecins ont abandonné cette fonction de sélection. « De la même manière, continue Lobrot, l'éducateur doit refuser au groupe social de se laisser imposer une pratique qui nie à la base son rôle professionnel."

 



lundi 27 mai 2024

Configurations Canoniques des Doigts (CCD) vs numéros, en 6 points.

 

Les Configurations Canoniques des Doigts (CCD) sont comme les chiffres, mais elles sont beaucoup plus riches.

Ainsi, contrairement aux chiffres, les CCD sont pour ainsi dire immunisées contre toute confusion avec des numéros.

1. Les CCD ont été construites par le comptage cardinalisant explicite reliant clairement et à tout moment l’ordinal (levée successive des doigts) et le cardinal (levée simultanée, d’un seul geste, des doigts venant d’être levés successivement). Ce lien, cette fusion ou synthèse ordinal-cardinal constitue précisément le nombre.

2. Les CCD gardent à tout moment la « mémoire » de leur construction. Elles ne sont pas seulement, comme les chiffres, des représentations numériques, mais elles sont aussi et en même temps des représentations analogiques, des collections témoins du comptage : dans la CCD de 8, par exemple, les 8 doigts témoins de 8 gestes restent présents, bien que levés d’un seul geste. Ainsi la CCD de 8 désigne automatiquement la pluralité, alors que le numéro ne caractérise qu’un seul élément.  

3. Les CCD sont les éléments de la calculatrice-doigts dont un des rôles essentiels est d’effectuer les calculs de la manière la plus fiable, la plus rapide, la plus économique possible. Les CCD sont inutiles si elles ne remplissent pas ce rôle auquel il faut ajouter celui de la modélisation. C’est en remplissant ces rôles que les CCD se consolident en même temps qu’elles s’assouplissent pour s’adapter à toutes les situations. Par contre, les numéros ne permettent ni les modélisations ni les calculs.

4. À partir de la petite base (5) les CCD sont visiblement décomposées : 5(une main) et 1 pour la CCD de 6, 5 et 2 pour la CCD de 7, etc.  La « petite base », 5 doigts ou 1 main,  joue un rôle primordial dans ma méthode, tout comme elle a joué un rôle essentiel dans différentes sociétés archaïques.   

Quand on part de la maison de 7 qu’on retrouve dans différents manuels scolaires sous la forme abstraite reprise ci-dessous, aucune décomposition n’est privilégiée. L’enfant n’a aucune image prégnante de 7. En ce sens « 5 et 2 » n’est pas une décomposition ordinaire de 7. C’est une  décomposition privilégiée. On peut alors montrer sans peine que cette CCD de 7 peut se décomposer en 4 et 3 ou 6 et 1,…  


Les calculs où 5 intervient sont les plus faciles : 5 + 4 donne la CCD de 9, 5 + 8 = 5 + 5|3 (CCD de 8) ; 5 + 5 = les deux mains (CCD de 10)… 12 -5 = 5|5|2 - 5 = 5|2, la CCD de 7,etc. Il est donc conseillé de commencer par des modélisations et des calculs où le 5 intervient afin que l’enfant s’habitue à « jouer » avec ses doigts.

5. Raison d'être de la décomposition privilégiée. Il est beaucoup plus difficile de traiter (lire, montrer, lever, baisser,…) d’un seul coup et sans la moindre hésitation 4 et 3 ou 6 et 1. Les CCD doivent pouvoir être traitées d’un seul coup tout en restant parfaitement décomposables, sans quoi elles ne fonctionneraient guère et ne faciliteraient pas les calculs. Une CCD qui ne fonctionne pas efficacement n’est plus une CCD. Selon les besoins concrets, la CCD de 7 (5 et 2) doit pouvoir être décomposée en 4 et 3, 6 et 1, etc., mais 6 et 1 ne sera, par définition (qualité d’une norme dominante) jamais la CCD de 7.

Il est inutile et nuisible de déstabiliser l’enfant de peur qu’il puisse finir non pas par prendre 7 pour un numéro, mais par croire que 7 ne peut être que 5 et 2, forme aussi rigide qu’un numéro. Les nombreux problèmes à résoudre obligent l’enfant à décomposer les CCD dont un des rôles principaux est précisément de faciliter le calcul au lieu du comptage.

6. Rappelons enfin qu’aucune image statique ou même animée de l’extérieur ne peut traduire de manière satisfaisante les CCD vu que les aspects vécus, moteurs (lever, baisser,… les doigts), sensori-moteurs et proprioceptifs sont essentiels.  Rappelons aussi les liens intimes entre les doigts et les nombres. Ces liens ont été vécus durant des millénaires, exploités par quelques grands pédagogues, dégagés par certains mathématiciens de renom et, enfin, confirmés plus récemment par des études neuroscientifiques, notamment par l’imagerie cérébrale. 

Tous ces aspects cruciaux sont absents des numéros.