dimanche 23 juin 2024

Confusion entre l’incapacité du prof et celle de l’élève !

 


Comprendre c'est saisir l'esprit qui anime la lettre

Ce piège que j’ai repris en cinquième place dans ma liste des pièges, n’est pas spécifique à l’enseignement des mathématiques mais il s’y révèle de manière particulièrement prononcée.

Combien de fois ne constate-t-on pas qu’un enfant, que d’aucuns trouvent nul en mathématiques, devient tout à coup fort, voire très fort, uniquement suite à un changement de prof !

Comme la compréhension n’est peut-être nulle part aussi importante qu’en mathématiques, il semble évident que la manière de présenter la matière y joue un rôle capital, voire décisif.

Nous avons déjà vu que Lyons constate dans son Défi Mathématique que trop de difficultés des enfants nous renseignent sur la manière dont l’enseignement a été dispensé, sur le programme, la  méthode ou le manuel.

👉Les difficultés et les échecs de l’enfant nous renseignent surtout sur l’incapacité de l’enseignant à se libérer de la « lettre » d’un programme, d’une méthode ou d’un manuel souvent imposés.

L’apôtre Paul n’écrivait-il pas déjà à la Communauté de Corinthe : « La lettre tue, mais l’esprit fait vivre. »  Ce qui est repris dans la liste des proverbes français avec l’explication suivante ; il ne faut pas s’attacher servilement au sens littéral, mais chercher à saisir l’intention véritable cachée sous les expressions.

Programmes, méthodes et manuels ne sont pas là, du moins officiellement, pour faire échouer une partie des élèves. Aussi, pour respecter la finalité supposée d’un programme (la réussite de TOUS les enfants à qui on l’impose), l’enseignant doit dépasser sa « lettre ».

En soi, la lettre est figée, inadaptable et ne laisse pas de place à la nouveauté et aux besoins individuels. Elle corsette, étouffe et tue.

Cependant, si la lettre tue, ce n’est pas parce qu’elle serait mauvaise, mais parce qu’on en fait un usage oppressant ne laissant aucune place à l’esprit qui l’anime.

Mettre l’accent sur l’esprit du programme ou du manuel, c’est, d’abord, approfondir la lettre avec la certitude de ne jamais saisir entièrement l’esprit qui l’anime : « le processus de compréhension ne s’arrête jamais. L’un des maîtres mots des mathématiques est “approfondissement”, […]. », note Lafforgue, mathématicien médaillé Fields.

Nous augmentons notre propre compréhension des maths dans la mesure où nous parvenons à les rendre accessibles, compréhensibles et acceptables par chaque enfant.

👉Deux fils rouges guident depuis toujours mon activité :

  • tout enfant jugé suffisamment intelligent pour fréquenter l’école et obligé de le faire, doit aussi être jugé assez intelligent pour réussir ce que l’école lui impose. Tout enfant est donc assez intelligent pour acquérir les maths élémentaires.
  • ce n’est pas l’enfant qui est incapable d’apprendre les maths, mais c’est moi qui ne parviens pas encore à les lui présenter d’une manière compréhensible pour lui.

Je ne suis plus celui qui sait une fois pour toutes, mais celui qui cherche sans cesse à savoir et à saisir l’esprit qui anime la lettre.  

De sélectionneur suivant bêtement la lettre des programmes et manuels, je me transforme en chercheur soucieux de faire profiter tous mes protégés de l’esprit des mathématiques et de les mener à la réussite plénière. 


mardi 4 juin 2024

Trois pièges redoutables posés à l’entrée en mathématiques

 

Des 15 pièges (ici) que j’ai pu relever, en voici trois qui sont d’autant plus dangereux qu’ils peuvent se renforcer mutuellement.

 

1) Confusion entre le nombre et le numéro.

 

Pour l’enfant, nos mots-nombres ne sont souvent que des mots-numéros. 

 

Ces derniers sont issus du comptage-numérotage faisant correspondre 1 mot – 1 objet. Ainsi chaque mot-numéro désigne 1 élément et 1 seul : le numéro huit ne désigne pas 8 objets (maisons, maillots de foot,…) mais 1seul.  

 

Le numéro est un bloc indécomposable, inutilisable en modélisations et en calculs. Le n° 8 n’est pas la somme des n° 5 et 3, etc.

 

Ce piège peut être renforcé par des

  • - files numériques utilisées de manière non numérique
  • - comptines numériques omettant régulièrement l’aspect ordinal (premier, deuxième, …)
  • - jeux dits « pédagogiques »
  • - …

 

Quand le numéro usurpe la place du nombre tout se bloque. L’enfant s’empêtre dans un « comptage » un par un.

 

J’ai eu en remédiation des dizaines d’enfants diagnostiqués « dyscalculiques ». Ils étaient pratiquement tous pris dans ce premier piège.

 

Si l’on croit que l’expression « dyscalculie transitoire » n’a pas de sens et que la dyscalculie est un « trouble irrémédiable », alors le piège se resserre gravement, voire définitivement. 

 

2) Confusion entre notre savoir et celui de l’enfant 

 

Mettez 5 jetons sur la table et demandez à un enfant qui sait compter au moins jusque 5 : « Combien de jetons y a-t-il ? » L’enfant compte 1, 2, 3, 4, 5. (Silence)

 

Vous pouvez alors réagir de deux manières :

 

1) Soit, vous répétez votre question. Si, au lieu de dire alors qu’il y a 5 jetons sur la table, l’enfant re-compte, et re-compte, vous pouvez suspecter un comptage-numérotage : le 5 final est un n°, il ne désigne pas la pluralité des 5 jetons et ne permet donc pas de répondre à la question du combien.

 

2) Soit, vous louez l’enfant en disant TB et en soulignant avec plus ou moins d’enthousiasme ou d’insistance, À LA PLACE DE l’enfant,  qu’il y a bien 5 jetons.

Certains s’énervent même en disant à l’enfant : « Tu n’as pas besoin de recompter puisque tu en as bien compté 5 !! »

L’enfant apprend alors vite à répéter le dernier mot, sans comprendre.

Le piège se referme plus fortement encore !

 

3) Confusion entre développements « naturel »  ou « adaptatif »

 

Certains pédagogues « scientifiques », sans expérience de terrain, considèrent le comptage-numérotage comme une étape naturelle, normale. Ils croient consolider leur théorie en se citant mutuellement tout en s’immunisant contre tout brouillage pouvant venir du terrain.

 

Leur théorie n’est alors « prouvée » que par l'étude de sujets conditionnés à se conduire d’une manière conforme à cette théorie.

 

Ce phénomène a été dénoncé surtout par des ethnopsychiatres habitués à voir des personnes d’autres cultures et donc conditionnées différemment.

 

En fait, l’enfant sensibilisé dès le début au comptage cardinalisant, articulant les deux aspects constitutifs du nombre (aspect ordinal : premier, deuxième, troisième…et aspect cardinal : un, deux, trois,…) ne passe pas par l’étape prétendue « normale » du comptage-numérotage.

 

Lyons, célèbre enseignant-chercheur canadien, constate dans son Défi Mathématique que trop de difficultés des enfants nous renseignent sur la manière dont l’enseignement a été dispensé, sur le programme, la  méthode ou le manuel.

Un piège est d’autant plus redoutable qu’il a la bénédiction des Autorités. 



lundi 3 juin 2024

Connaissez-vous plus que 15 + 1 pièges posés à l’entrée en mathématiques ?

 

Voici ceux que j’ai relevés : 

  1. Confusion entre le nombre et le numéro.
  2. Confusion entre notre savoir et celui de l’enfant
  3. Confusion entre développements « naturel »  ou « adaptatif »
  4. Confusion entre constituants et prérequis.
  5. Confusion entre incapacité du prof et de l’élève !
  6. Confusion entre compter et calculer
  7. Confusion entre la calculatrice et ce sur quoi portent les calculs
  8. Confusion entre mobilité et chaos.
  9. Confusion entre nombre et chiffre.
  10. Confusion entre « automatismes » et « automathismes »
  11. Confusion entre l’intérieur et l’extérieur
  12. Confusion entre langage quotidien et langage mathématique
  13. Confusion entre cas particulier et général
  14. Confusion entre clarté et lenteur
  15. Confusion entre petits pas et compréhensibilité

👉Ces pièges et d’autres encore seront exposés en détails dans ce blog. Il est essentiel de bien savoir les détecter afin

  • d’éviter que les enfants y soient pris. 
  • de libérer au plus vite ceux qui en sont déjà victimes.

👉Ce travail de prévention et de libération exige, entre autres, une connaissance et une compréhension approfondies de ce qui est nécessaire pour une entrée réussie en mathématiques.

Je ne peux en aucun cas m’accorder avec les enseignant·e·s qui pensent que l’amour du métier et des enfants, si nécessaire soit-il, puisse être suffisant.

En 1935, Piaget écrivait déjà : «En un mot, c'est dans et par la recherche que le métier de maître cesse d'être un simple métier et dépasse même le niveau d'une vocation affective pour acquérir la dignité de toute profession relevant à la fois de l'art et de la science ».

J’ai toujours opposé l’enseignant chercheur au sélectionneur qui ne mérite même pas le nom d’enseignant. !

👉Un texte de Meirieu m’a beaucoup fait réfléchir : l’enseignant, je cite,  « porte une double casquette: d’un côté, il s’efforce de faire réussir ses élèves et tous ses efforts concourent à ce projet; d’un autre côté, il organise des épreuves où il sème des embûches dans le souci de faire échouer une partie d’entre eux et de sélectionner les meilleurs. C’est pourquoi il est toujours partagé, devant un échec, entre la culpabilité pédagogique, qui devrait l’amener à se remettre en question, et la fierté sociale d’avoir rempli une tâche pour laquelle il était mandaté et qu’il doit poursuivre. Le paradoxe est tel que, s’il arrive qu’un enseignant mette trop fréquemment ou trop systématiquement de bonnes notes, loin de louer son efficacité, l’on suspecte plutôt son objectivité ».

👀La « double casquette », cette figure ambivalente de Janus ne cache-t-elle pas UN PIÈGE REDOUTABLE, ne doit-elle pas laisser tomber son masque ? Ne faut-il par choisir clairement entre  enseigner et sélectionner ? Choisir entre d’une part communiquer, partager ou transmettre des savoirs de la manière la plus réussie possible et, d’autre part, poser des pièges ou semer des embûches pour sélectionner !

En 1974, Lobrot notait déjà que le rôle des enseignants actuels est, je cite, « très comparable de celui des médecins jusqu'à la Renaissance (...) faire le tri entre les malades et les bien portants ». Les médecins ont abandonné cette fonction de sélection. « De la même manière, continue Lobrot, l'éducateur doit refuser au groupe social de se laisser imposer une pratique qui nie à la base son rôle professionnel."